Emplois verts : le risque du mirage

Publié le par trentenaire

Les Echos 1/12/2009

Alors que va s'ouvrir le sommet de Copenhague, la révolution verte se glisse dans les entreprises et devrait concerner, en France, des centaines de milliers d'emplois. Ce qui ne veut pas forcément dire autant d'embauches supplémentaires.

Garagiste », « maçon » ou « électricien » aujourd'hui. « Dépollueur automobile », « écoconstructeur » ou « solariste » demain. A quelques jours du sommet de Copenhague, les promesses d'un monde plus « vert » rayonnent aussi sur l'emploi. Aux Etats-Unis, Barack Obama a évoqué la création de 5 millions de « green jobs ». De son côté, la Corée prévoit 1 million de « cols verts ». Et, en France, les mesures issues du Grenelle de l'environnement pourraient générer 600.000 emplois d'ici à 2020, d'après le Boston Consulting Group. De rapport en rapport, les chiffres s'emballent, notamment dans la construction et la rénovation de bâtiments, qui offrent «  le plus fort potentiel technique de réduction des émissions de gaz à effet de serre  », d'après le Programme des Nations unies pour l'environnement. A elle seule, la Fédération française du bâtiment (FFB), qui vient pourtant d'afficher la perte inédite de 50.000 emplois, estime à 18.000, voire 20.000, le nombre de postes écologiques créés par an.

En 2009, les chiffres sont encore modestes. Mais, du solaire à l'éolien, le champ des énergies renouvelables est déjà prometteur. «  Nous sommes en quelque sorte en recrutement permanent  », assure Pierre Génin, directeur de SMA France, spécialiste des onduleurs photovoltaïques. De 2008 à 2009, la filiale de ce groupe allemand a étoffé ses rangs, passant de 12 à 25 salariés. Et prévoit de doubler ses effectifs en 2010. Même dynamisme chez EDF Energies Nouvelles grâce, notamment, aux éoliennes. «  Depuis deux ans, nous avons augmenté nos effectifs de plus de 30 % à périmètre constant  », souligne Nathalie Guyot, DRH de cette filiale d'EDF qui compte 300 salariés.

Transports, automobile, propreté, industrie, technologies, santé… la révolution verte colore tous les pans de l'économie. Sur le terrain, les entreprises sont à la manoeuvre. La semaine dernière, une quinzaine de grands groupes, dont PSA, Renault, Geodis, Veolia, Thales, Spie ou Suez Environnement, ont proposé 2.000 offres de postes lors du forum emplois verts lancé par le secrétariat d'Etat à l'Emploi, le secrétariat d'Etat à l'Ecologie et Pôle emploi.

Frilosité des recruteurs

Des embauches à la clef, donc. Mais qu'il convient, pourtant, de relativiser. D'abord parce que, lissé sur vingt ans, le chiffre de 600.000 emplois créés ou préservés n'est pas si élevé, «  compte tenu de tous les métiers pris en compte  », calcule Pierre Lamblin, directeur des études à l'Apec. Ensuite, parce que la crise n'épargne personne. Et que «  l'heure est plutôt à la maîtrise des coûts et de l'embauche », concédait Frédéric Henrion, directeur des ressources humaines chez Lyonnaise des Eaux, dans les colonnes d'« Environnement Magazine ». Pour l'heure, «  les postes dans des domaines ayant trait à l'environnement représentent environ 1 % des offres d'emploi seulement  », rappelle Pierre Lamblin. De son côté, le site Emploi-environnement.com a vu fondre ses offres depuis le début de la tourmente financière. «  De 1.200 à 1.300 annonces il y a quinze mois, nous sommes tombés à 800 aujourd'hui », constate David Asher, directeur de publication du site .

Si elle accroît la frilosité des recruteurs, la morosité économique n'explique pas tout. «  Pour gérer les questions de sécurité ou de qualité environnementale, un groupe de chimie va préférer former quelqu'un en interne qui connaît bien le secteur  », poursuit David Asher. Ainsi, pour nombre d'employeurs, s'adapter aux contraintes du développement durable signifie surtout faire évoluer l'existant. Et former, plutôt qu'embaucher. D'autant que « “ faire de l'environnement” n'est ni une fonction ni un secteur en soi  », rappelle Pierre Lamblin, mais s'apparente davantage à une culture.

La formation prend son essor

Bilan : «  Nous sommes assaillis de demandes de formation », note Etienne Couvreur, à l'Ines (Institut national de l'énergie solaire). «  L'évolution des compétences est cruciale  », renchérit Xavier Lan thiez, responsable formation chez Eiffage, qui a entamé sa révolution verte en 2006 et forme depuis 150 cadres chaque année aux «  opportunités techniques et commer ciales liées au développement durable  ». Même réflexe chez Cofely, qui propose à ses 14.000 salariés une palette de 70 stages, allant de la « réglementation sur l'air » au « management environnemental » ou à la « maintenance sur le photovoltaïque ». «  Nos ingénieurs doivent développer des solutions d'énergie globale, en aidant nos clients à arbitrer entre les sources d'énergie mais aussi en mesurant l'empreinte écologique de leurs choix  », commente Michel Haas, directeur de l'institut des métiers et de la formation de Cofely.

Les PME n'échappent pas à la règle. Au 1er  octobre, 15.000 personnes étaient passées par les modules de formation des entreprises et artisans du bâtiment aux économies d'énergie (Feebat), mis en place par la Fédération. Si ce chiffre semble faible, au regard d'un secteur qui compte 1,9 million de salariés, Armel Le Compagnon, qui préside la commission nationale formation de la fédération, se montre optimiste : «  Il y a encore six mois, certains professionnels nous rigolaient au nez. Or, aujourd'hui, les demandes de stages de formation affluent.  » L'enjeu est de taille. Une mauvaise maîtrise de ces techniques plus vertes mais aussi plus coûteuses pourrait susciter la défiance des clients…

Ainsi, sur ce secteur en friche, les regards changent. Le Conseil d'orientation pour l'emploi s'est d'ailleurs emparé du sujet et travaille sur les adaptations à attendre ou à susciter dans les entreprises, ainsi qu'aux évolutions nécessaires de l'offre de formation. Son rapport sur les emplois verts devrait paraître en janvier.
VALÉRIE NOËL, Les Echos"

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article