La France est l'un des pays où les entreprises en font le moins pour réduire le stress

Publié le par trentenaire

Article du Monde du 19/10/09


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Patrick Légeron est psychiatre et auteur d'un rapport sur le stress au travail, remis à Xavier Bertrand en mars 2008.
Il estime que "la France est l'un des pays où les entreprises en font le moins pour réduire le stress".

petit-taf : Qu'est-ce que le stress ?

Patrick Légeron : Le stress est étudié scientifiquement depuis soixante-dix ans. Et on sait qu'il représente une formidable réaction de l'organisme, autant physique que psychologique, qui survient chaque fois que nous nous trouvons dans une situation de danger ou de contrainte.

Les premières études ont montré que le stress était une fonction de survie permettant de nous mobiliser pour faire face au danger, et donc il peut avoir des aspects positifs.

Cependant, lorsque cette réaction naturelle devient trop importante ou chronique, elle peut entraîner non seulement des souffrances de l'organisme, mais aussi des maladies.

Florian : Pensez-vous que le stress au travail soit un phénomène nouveau ? Et si non comment expliquer qu'avec les semaines de travail qui diminuent le stress a l'air d'augmenter ?


Patrick Légeron : Le stress au travail, tout comme le stress tout court, n'est pas un phénomène nouveau. Tous les mammifères, l'homme des cavernes et nos ancêtres ont connu le stress.

La caractéristique actuelle de ce stress au travail est qu'il survient dans des environnements de plus en plus contraignants psychologiquement, et de moins en moins physiquement.

Si le stress d'il y a environ un siècle se caractérisait par une pénibilité physique (il suffit de relire Germinal), aujourd'hui, c'est la pression psychologique et des relations humaines de plus en plus difficiles qui expliquent le stress au travail.

La réduction du temps de travail, des environnements plus agréables (bureaux, ergonomie) ne suffisent pas à réduire la forte densité de travail (faire toujours plus en moins de temps et avec moins de moyens). Cela explique le paradoxe du stress au travail aujourd'hui.

Laurence : Quelle différence y a-t-il entre stress et souffrance au travail ?

Patrick Légeron : Le mot "souffrance" est plutôt la vision des gens qui sont concernés, alors que la "douleur" est un terme médical, et le "stress", plutôt un terme scientifique.

La souffrance est plus le vécu des personnes touchées par le phénomène, mais les experts parlent plus de stress. Au niveau international (cf. les rapports de l'OMS ou du BIT), on parle de stress au travail.

En France, le terme de souffrance a connu beaucoup de succès, mais est beaucoup moins utilisé dans les pays étrangers.

Amabou : Comment faire la différence entre le bon stress et le stress néfaste ?

Patrick Légeron : Il peut y avoir un bon stress uniquement lorsqu'il est ponctuel. Par exemple, devoir faire une intervention dans une réunion, boucler un dossier difficile à rendre le lendemain.

Mais dès que ce stress atteint un niveau trop élevé, ou devient permanent, par exemple toute la journée, la semaine ou le mois, le stress n'est jamais bon. Si un stress aigu peut parfois être bon, un stress chronique ne l'est jamais.

D'ailleurs, biologiquement, le stress aigu dépend d'une hormone qu'on appelle l'"adrénaline", qui peut avoir du bon, alors que le stress chronique dépend d'une autre hormone, le cortisol, qui, lorsqu'il s'élève, est toujours négatif.

Reunan : Bonjour, travaillant au service RH d'une société, j'aimerais connaître votre opinion sur la mise en place d'un numéro vert pour les salariés victimes de stress au travail.

Patrick Légeron : Pour lutter contre le stress au travail, on peut agir en amont du problème, et c'est bien sûr ce qu'il faut privilégier en s'attaquant aux causes du stress.

Mais on peut aussi agir en aval du problème, c'est-à-dire permettre aux gens en difficulté d'être aidés par des numéros verts ou du conseil psychologique.

Cette dernière approche est bien sûr extrêmement limitée, et même si elle peut être utile, est notoirement insuffisante.

Amabou : comment se fixer des limites pour le stress que l'on supporte ?

Patrick Légeron : On ne peut pas déterminer un niveau de stress qui serait supportable et au-delà duquel on ne pourrait pas le supporter. Au niveau de l'entreprise, il est important de faire en sorte que les facteurs de stress (inévitables) ne soient pas trop nombreux, et au niveau individuel, il est important de repérer quand notre organisme commence à être dépassé par le stress : au niveau physique, la sensation d'être fatigué, des troubles de la digestion, etc. Au niveau psychologique, se sentir de plus en plus anxieux ou de plus en plus irrité, agacé.

Ces signes traduisant que le niveau de stress tolérable a été dépassé.

Daros : Et quelles sont les méthodes pour lutter contre ce stress ?

Patrick Légeron : Il y a deux grandes façons de lutter contre le stress.

La première, c'est de réduire les causes de stress, et la responsabilité en incombe aux entreprises : réorganiser le travail, modifier les méthodes de management. C'est évidemment l'approche de lutte contre le stress qu'il faut privilégier, car elle est prioritaire.

L'autre façon de lutter contre le stress est d'apprendre soi-même à augmenter sa résistance au stress : une bonne hygiène de vie, avoir d'autres sources de satisfaction dans la vie que le travail, avoir des relations avec les autres de bonne qualité, tout cela protège l'individu contre le stress.

Cependant, la lutte contre le stress ne peut se réduire à cette approche purement individuelle, c'est une approche "collective" qui, dans le monde du travail, s'impose en premier.

Utilisateur6 : Je suis professeur de français FLE au Brésil depuis 12 ans et je voudrais vous dire qu'il est très très rare d'entendre parler de suicide ou même de tentative au Brésil et particulièrement au sein des entreprises. J'y ai longtemps réfléchi et je crois pouvoir émettre une opinion qui pourrait être une des raisons: c'est la manière dont les Brésiliens se comportent : on s'appelle par son prénom,il n'y a pas  de tutoiement/vouvoiement, on s'embrasse facilement, on organise régulièrement des rencontres hors le boulot, on rit plus facilement ce qui detend l'atmosphère... Bref, il y a la contrainte mais il y a les moments de décompression.Pensez-vous que ça manque en France ?

Patrick Légeron : Tout à fait. La France a des caractéristiques très spécifiques concernant le stress au travail.
Les problèmes comme le suicide au travail sont nettement plus fréquents qu'ailleurs.

La souffrance au travail semble nettement plus développée que dans beaucoup d'autres pays, et paradoxalement, la France est l'un des pays où les entreprises en font le moins pour réduire le stress.

Les relations humaines au sein du monde du travail semblent particulièrement en cause dans ce phénomène mettant la France en mauvaise position.

Les méthodes de management qui n'intègrent absolument pas la question de l'homme mais ne s'intéressent qu'à la stratégie de l'entreprise sont à remettre profondément en question

Il y a deux grands groupes de pays : l'Europe du Nord d'abord. Dans un pays comme le Danemark, non seulement le gouvernement, mais les partenaires sociaux, s'intéressent au stress au travail depuis plus de trente ans.

Dans un pays comme la Finlande, des entreprises comme Nokia ont dans leur comité de direction un responsable du bien-être des salariés. Au niveau national, les quatre pays scandinaves ont un indicateur publié régulièrement du stress au travail dans les entreprises.

L'autre région du monde, c'est l'Amérique du Nord, et surtout le Canada. Au Québec, une entreprise comme Hydro-Québec (l'équivalent de notre EDF) travaille depuis plus de quinze ans à conjuguer la performance économique de l'entreprise au bien-être des salariés.

Un bel exemple à méditer dans le contexte actuel français.

Truca : Est-ce qu'il y a eu "un effet 35 heures" (positif ou négatif) sur le stress au travail ?

Patrick Légeron : Paradoxalement, aucune étude n'a été réalisée pour appréhender l'effet au niveau de la santé psychologique du bien-être du passage aux trente-cinq heures. Cela a beaucoup étonné nos voisins scandinaves, car les seules études scientifiques qu'on a faites sur le passage aux trente-cinq heures ça a été de voir si cela améliorait la performance économique du pays et l'amélioration de l'emploi, mais rien n'a été fait pour appréhender ce changement important d'organisation du travail en termes de bien-être des salariés.

Il semble malgré tout que cela ait abouti à densifier le travail (en faire autant, si ce n'est plus, en moins de temps). Donc, paradoxalement, à augmenter le stress au travail (surtout chez les cadres), alors qu'en soi-même, la réduction du temps de travail permettant de développer les loisirs et une vie extraprofessionnelle aurait pu réduire le stress.

Truca : Quels sont les métiers et les catégories socio-professionnelles les plus touchés par le stress ?

Patrick Légeron : S'il y a une vingtaine d'années les professions soumises au stress étaient bien connues (policier, enseignant, professions de santé, aiguilleur du ciel), aujourd'hui, le phénomène s'est généralisé.

Trois catégories de personnes sont malgré tout encore un peu plus concernées que les autres :

1) les femmes qui, dans toutes les études, ont des niveaux de stress beaucoup plus élevés que les hommes (sans doute cela est-il dû à la contrainte que représente en plus la gestion de la vie domestique et à une moindre reconnaissance au travail que les hommes) ;

2) les employés, les salariés et l'encadrement de proximité (contremaîtres, responsables de petites équipes), les cadres supérieurs et les cadres dirigeants étant nettement moins touchés par le stress ;

3) les banques, les assurances, le secteur des services, et le service public plus que le secteur purement industriel.

Malgré tout, ces différences sont minimes, la problématique du stress au travail touchant maintenant l'ensemble du monde du travail.

Marinette : On a l'air de parler surtout de stress dans les grandes entreprises, où il existe un service RH. Qu'en est-il des PME, voire des très petites entreprises ?

Patrick Légeron : La France, à la différence des pays scandinaves ou du Canada, ne possède pas d'indicateur national du stress. Il est donc difficile de dire si les petites ou moyennes entreprises sont plus touchées par le phénomène que les grosses entreprises, pour lesquelles la médiatisation de drames a été plus forte.

Malgré tout, il semble que ces petites entreprises sont au moins autant concernées que les grandes, et qu'elles ont sans doute plus de difficultés à mettre en place des actions de lutte contre le stress, car ne possédant pas en leur sein des structures comme les ressources humaines ou les préventeurs en santé et sécurité au travail.

Heureusement, l'ensemble des salariés, petites et grandes entreprises, ont accès à la médecine du travail, qui apparaît être un acteur important, pour les petites entreprises entre autres, d'aborder la problématique du stress.

Laurence : pourquoi les syndicats en France ne se sont-ils pas saisis de cette question avant ?

Patrick Légeron : En mars 2008, à la demande du ministre du travail de l'époque, j'ai remis un rapport au gouvernement sur le stress au travail, soulignant les grandes difficultés des entreprises françaises à aborder ces thèmes.

Les causes en sont multiples, mais on peut souligner l'impossible dialogue social entre les partenaires sur ce thème, avec, d'un côté, un patronat qui n'acceptait que de parler du bon stress et, de l'autre côté, certains partenaires sociaux associant travail et souffrance.

La deuxième raison a été la faible implication des pouvoirs publics. Il aura fallu ces suicides dans le secteur automobile pour qu'enfin un ministre du travail aborde cette question.

Troisièmement, le coût que représente le stress au travail en termes économiques (absentéisme, perte de productivité, baisse de la qualité) est largement financé par la collectivité (Sécurité sociale, etc.), alors que dans d'autres pays (Europe du Nord, Amérique du Nord), les entreprises paient directement les coûts liés au stress au travail.

Utilisateur6 : Ne pensez-vous pas que la lutte contre le stress au travail doit commencer lors de la petite enfance en milieu scolaire et familial ?

Patrick Légeron : Le stress fait partie de la vie, et on s'aperçoit que très tôt, les environnements de l'école génèrent beaucoup de stress. Les pédopsychiatres s'inquiètent à juste titre du stress grandissant observé chez les enfants. Et à l'évidence, au-delà de l'intérêt qu'on peut porter au stress au travail, il serait légitime de se questionner de manière plus générale, sur le stress généré par notre société dans tous ses secteurs : école, vie urbaine...

Et faire du stress un vrai sujet de société (au-delà d'un sujet du monde du travail), interpeller les politiques sur le monde que l'on construit, sont de vrais défis.

Protéger la planète (approche écologique) apparaît de plus en plus fondamental, construire la santé psychologique de ses habitants est aussi une importante question.

Chat modéré par Sylvie Kaufmann et Sylvie Chayette

 



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A méditer...

Publié dans STRESS ET TRAVAIL

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G
<br /> Bonsoir,<br /> J'ai écrit un article intitulé "apologie de l'échec". Un message d'espoir et de solidarité avec les salariés en souffrance. A lire sur http://deslettresdesmots.over-blog.com<br /> <br /> A méditer comme vous dites.<br /> Cordialement.<br /> <br /> <br />
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